Le Temps des Cerises

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Le passé est créateur de l’Instant Présent

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J’ai 9 ans et je vis dans l’orphelinat « la Providence » tenue par les religieuses, et ce, parmi 20 autres enfants, âgées de 5 à 11 ans.
Il est midi. Nous sommes installées au réfectoire, prêtes à manger quand Sœur Isabelle brise le silence pour distribuer le courrier.

Quelle ne fut ma surprise d’entendre, parmi les noms cités, mon nom de famille. Étant donné que c’était un colis, sœur Isabelle précise qu’il nous sera remis à moi et mes deux sœurs en dernier.

J’ai du mal à contenir mon impatience.
Car depuis que nous avons été abandonnées avec mes sœurs il y a 4 ans, et placées, depuis, dans 3 différents établissements de l’assistance publique, nous n’avons jamais eu de contact avec qui que ce soit de notre famille.

Enfin, sœur Isabelle prend le colis et juste avant de l’ouvrir, précise que son contenu sera partagé dans la mesure du possible entre tous les enfants…
Je suis abasourdie par ce que j’entends !!!

Je suis tellement révoltée par cette décision que j’ose exprimer mon indignation :

– Ce n’est pas juste ma sœur…. Car les enfants qui reviennent le week-end de chez leurs parents avec des friandises, eux ne sont pas obligés de partager !!!
Nous, on nous prend tout…. Nos nouveaux vêtements neufs et maintenant notre colis !!

Sœur Isabelle répondit avec froideur :

– Puisque que tu te montres si effrontée. Non seulement tu n’auras rien. Mais en plus, en guise de punition, tu seras enfermée dans le cagibi sous l’escalier.
Ainsi, tu pourras méditer sur ta mauvaise conduite.

Je rappelle que je n’ai que 9 ans….
Je fus donc enfermée dans le cagibi, sous l’escalier, pendant des heures. Et je ne pus goûter les cerises que notre grand-mère de Vendée nous avait envoyées.
C’est pourquoi, à la suite de cette expérience, je suis devenue boulimique des cerises. Dès que c’était la période, il me fallait en acheter, et ce, quelque fut leur prix.

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Quarante ans après…

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Un matin de juin.
J’échange au téléphone avec ma sœur aînée, au sujet de ce souvenir malheureux. Je lui confie avec un certain humour, que depuis cette injustice, je suis devenue boulimique des cerises…
Le péché de gourmandise.

Au point que dès qu’elles sont en vente, mon mari ou mes enfants vont en acheter juste pour moi…
Mon obsession de la cerise s’est même étendue sur les bonbons Kréma, et je suis la seule à la maison à manger des yaourts à la cerise.

Ma sœur, aussi, semble avoir été marquée à sa façon par cet incident. Elle m’indique qu’elle a commencé par planter des cerisiers au moment où elle a fait construire sa maison.
La conversation reste néanmoins sur le ton léger de la rigolade.
Aussi, dans la foulée, ma sœur propose de m’envoyer un colis de cerises pour me faire revivre ce moment fort de mon enfance. Ainsi, je pourrais observer ce qui se passe en moi…

Pour moi, je suis boulimique à la saison des cerises. Parce que j’ai gardé enfoui en profondeur et « alimenté » depuis mon enfance, cette blessure de « privation de cerises » du colis de ma grand-mère.

Très bonne idée…
Le lendemain vers 14h, je reçois par Chronopost le colis de cerises envoyé par ma sœur.
Je le rapporte toute fiérote à la maison comme un trophée. Je me sens comme une gamine, qui a enfin réussi à obtenir justice…
C’est mon sentiment du moment. Je suis heureuse de faire la surprise à mes enfants et à mon mari, car eux aussi adorent les cerises.

Je rentre dans l’appartement, et invite sur un ton joyeux ma petite famille à venir goûter les belles cerises venues d’un autre temps…
Oui, d’un autre temps. Puisque ce colis de cerises est là aujourd’hui en référence à une blessure de mon enfance qui perturbe ma vie d’adulte.

Mes filles apparaissent et me disent directes, qu’elles ne mangeront pas de cerises, vu qu’elles proviennent de chez ma sœur, et sont rejointes dans leur choix par leur père…

Je suis stupéfaite par leur réaction qui non seulement me déboussole, mais me laisse sans voix.
En effet, je suis surprise de ce rejet en bloc !

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Le Temps de la Libération…

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Là, en cet instant, je vis une situation inattendue…
Mais en me rappelant le fonctionnement de la loi de cause à effet, comme quoi l’émotion est la force magnétique qui attire et matérialise. J’observe que cette fois-ci JUSTICE m’est rendue, puisque personne ne veut goûter les cerises du colis.

Je me sens remplie de colère, mais surtout contre moi-même.
Oui, je ressens une certaine colère. Car je suis en possession d’un colis de 4 kg de cerises dont personne de ma famille ne veut, et qui d’un seul coup me dégoûtent.

De plus, je sais que ma sœur va me téléphoner pour connaître la suite de l’aventure. Je ne pourrais pas lui mentir…
Encore un comportement dû à mon éducation religieuse !

Donc, inspirée, je prends mon colis, et m’en vais frapper chez Laetitia, une de mes voisines pour lui proposer mes fameuses cerises.
Elle est enchantée et touchée par mon geste.
Je lui ai tout donné, et je suis rentrée chez moi toute radieuse, le cœur léger avec un étrange sentiment de soulagement.

Vers 17h, j’entends frapper à ma porte.
C’est Laetitia, ma voisine…
Elle me dit qu’elle a tellement été touchée par le cadeau des cerises, qu’en remerciement, elle nous a fait un clafoutis.

Je souris devant le retournement magique de la situation.
C’est à mon tour de la remercier chaleureusement, bien que je n’aime pas le clafoutis. Ce qui n’est pas le cas de mes enfants, et de mon mari, qui eux adorent. Ils le dévoreront…

Ainsi, j’ai pu appeler ma sœur pour la remercier pour son envoi, et lui dire que tout le monde était content, sans donner plus de précision…
Depuis cet évènement, ma boulimie a disparu…